Voila, ça a
commencé comme ça, sur un ciel d’apocalypse. J’étais tellement émerveillée, je
ne me suis pas méfiée. Il y avait juste ce ciel tragique, posé là, et nous,
seuls, enveloppés dans ce drap rouge, et toute cette émotion pure, ma raison
d’être, celle qui à elle seule justifie mon choix de vie, cette liqueur de
bonheur absolu.
Puis la nuit est tombée. un petit de vent
léger, on a un ris dans la grand voile,
on ne sait jamais. 1 heure du mat, Cap’tain crevette a finit son quart,
il part se coucher, je reste donc seule pour la nuit. Et là, c’est le
kinopanorama version 3 D, son surround, un orage sec, un truc énorme, puissance
10….un orage ? que dis je ,une suite d’orages comme je n’ai jamais vu, une
vrai délégation. Je suis devant un mur de feu, la foudre tombe de tous les
côtés, parfois très près du bateau, je passe de la nuit au jour en un quart de
seconde, comme si le ciel avait avalé un stroboscope ! et moi je me sens
toute petite dans mon cockpit, et puis très seule devant ce phénomène
magnifique mais très impressionnant. J’appelle ma crevette de capitaine mais il
refuse de se lever. Démerde toi il me répond !!! Humm, c’est bien la peine
d’avoir un capitaine à bord !!, seul maître après dieu qu’il m’a
dit !! Mais Dieu Dieu, il est pas
dans le coin c’est sûr !!! moi, j’invoquerai bien le diable si j’étais sur
qu’il me donne un p’ti coup de main. Mais bon, je m’abstiens, je vois bien
qu’il s’acharne le salopard à m’offrir une permanente à moindre frais, et comme
on est en acier, je vois le coup que la foudre va me tomber dessus, et que je
vais me faire frire le derrière, c’est
peut être même un défrisage instantané qui m’attend, imberbe du popotin
je vais me retrouver !!! alors je grimpe mes jambes sur les lattes de
bois, j’isole mon auguste postérieur par 3 coussins (trop n’a jamais manqué ),
j’invoque l’esprit de ma perle d’amour et de tous les saints du quartier (ça
mange pas de pain), et j’attend , en poussant des ohhhhhh, et des ahhhhh et
encore des ohhhhh. Ma fin est proche, c’est sûr ! et sa majesté qui daigne
même pas se réveiller !! tout d’un coup, la foudre tombe tout près, bon, c’est pas possible, j’ai du passer a côté
de l’info dans » le canard
enchainé », il s’est passé un phénomène météo monstrueux dans le monde,
y’a eu une inversion de polarité, l’enfer est monté au ciel !! c’est bien
ma veine . Durant la navigation précédente, déjà, on s’était fait courser par
une tornade, si !!!!! comme je vous le dit , une tornade, pas une force 5
non, mais quand même, une colonne d’eau qui t’arrive dessus, et très vite…..
ben oui, y’en a qu’on pas la baraka .et cette nuit qui n’en finit pas … elle
est bien loin ma p’tite liqueur de bonheur absolu ! tavernier,tavernier
donnez m’en un tonneau , une barrique, au moins que je meurs saoule !!
Il est maintenant 5
heures du matin, mon supplice est entrain de s’achever. Enfin c’est ce que je
crois a ce moment là. 5h ¼ , une petite lueur sur l’horizon, ce que je vois est
effrayant. Il faut vous dire que la Colombie est réputée pour ce qu’on appelle
des « culs de poulet ».ce sont des orages TRES soudain et TRES
violents, qui font monter l’anémomètre à 50 nœuds de vents voir plus. Vous me
direz, ben c’est pas grave, tu connais déjà ……oui oui oui, mais sauf que c’est
pas du tout le même genre. Durant la nuit je n’ai pas eu de vents violents mais
là, ce qu’il se prépare, pour l’avoir déjà subit au mouillage, je sais que je
vais prendre fessée, et même fessée déculottée.
Ca ressemble à ça,
mais en pire.
Le temps de voir le
monstre qui va m’engloutir, de rentrer le génois, je veux ouvrir la grand voile
mais le vent arrive subitement, et me couche le bateau, la crevette en tombe de
sa couchette . je l’entend pester, bah c’est le moment de te lever crevette,
parce que là, noudédiou, ça pulse grave, la mer est défoncée, le bateau est
gité à mort, et je ne peux pas ouvrir la grand voile tant la pression est
forte, ( heu au fait doudou, t’es sur qu’il va se redresser le pépère ??),et
puis la coque, la bôme, le mât, tout ça vibre terriblement, et le bruit, ooooh
le bruit …..j’ai l’impression que le bateau va exploser. Je vois voler mes
poëles, puis mes assiettes, puis mes chapeaux…… Bon, attend, je branche mon
cerveau reptilien, je me met en mode animal, en mode survie, en mode instinctif
.Quand c’est l’animal qui réagit, le cerveau est entièrement monopolisé, la
seule pensée concerne l’opportunité du geste à faire, là, immédiatement, et sa
parfaite exécution. Vite, on se met dans le lit du vent, mais le mât,….
misère,…t’as vu doudou ?.... il se tord comme une saucisse de
Strasbourg,…. ce n’est pas possible,…. on va démâter, en radeau on va se
retrouver !! …. je sors le coupe câble dans le doute,… les minutes deviennent
des heures,… ça n’en finit pas…
Voilà, le vent se
calme, on est vivant je ne sais par quel miracle (merci mémé), et je me sens,
comment vous dire, fatiguée, mais fatiguée……… il est 7h du mat, l’arrivée est
prévue …..de nuit bien sûr, comme d’habitude. 18h, le chenal est enfin en vu. Moi,
Je déteste l’arrivée en temps normal, je veux toujours rester en mer, je
demande souvent à ma crevette de trainer encore un peu, je lui dit qu’il n’y a pas le feu, qu’on est bien en
mer, mais là, à vrai dire il me tarde de poser la pioche, de m’taper une bière,
et de dormir, au moins 24h.
La nuit tombe, on
affale les voiles, le moteur tourne et on attaque l’entrée, tranquiloute
biloute..On avance gentiment, bercé par le teuf teuf teuf teuf du moteur,
puis,… d’un coup,… plus rien . Merde ....doudou… c’est ENCORE bouché, pas
d’arrivée gasoil, va falloir, ENCORE , que j’active mon pouce pour la 5eme
purge en 3 jours de nav. Bon, procédure, on est rôdé, et vas y que j’te passe
la clef de 11, puis la 15 , et enfin la 17,ou la 18 , je n’ sais plus je n’
sais plus, un p’ti coup de pouce magique à la pompe pour le réamorçage, on
ouvre aux injecteurs…..je tourne la clef…….et ……RIEN.il ne se passe absolument
rien. Le silence absolu. C’est pas possible, on a la chkoumoun !! il fait nuit,
on est à la dérive, tout près des cailloux….bref c’est la chianli
totale…..Donc, REprocédure…..on soulève les fonds, je colle mon oreille au
tank, crevette envoie l’air comprimé une nouvelle fois…. T’entend les
bulles ? t’entend les bulles ?......mais moi j’entend rien, rien de
rien, pas même une t’ite bullotte…..on est a sec . MAIS C’EST QUAND QU’ELLE SE
TERMINE CETTE JOURNEE DE MERDE !!!
C’est plus l’heure
pourtant, mais bon, voilà, les choses étant ce qu’elles sont, faut que l’on
rebranche le cerveau en mode « à fond les manettes « .les cailloux
sont là, super proches….Qu’est ce qu’on fait ,qu’est ce qu’on fait…. On pense
au génois mais pas de bol le vent nous pousse à la cote…Vite, vite, les fonds
remontent, on pioche on pioche………ouf…..on y est…on est ENFIN posé !!
Alors là, crevette, celle là, elle était
belle !!! hein ?,rentre donc la bière et sort
la bouteille de rhum que l’on se remette de nos émotions. Allez, un p’ti
gorgeon et hop au lit . on se repasse en boucle le film de la journée…………une
lancha arrive…..mais qu’est ce qu’ils veulent eux !! on est bien pioché
pourtant, pas dans le chenal, juste à côté de la mangrove, j’ai même cru voir
une petite plagette au bout de ma torche, mais QU’EST-CE QU’IL Y A
…ENCORE !! « no puedes dormir aqui » qu’il me dit le
bougre ! comment ça no puedo, no puedo , il sait pas la journée qu’on a
passé lui ! « muy peligroso, muy muy peligroso « . Mais comment
ça c’est très très dangereux !! mais crevette, KOI KI DIT LE MONSIEUR. J’entend piraterie, narcotrafic……ben voila,
manquait plus que ça,c’est le pompon, c’est l’apothéose , on a pioché dans le
passage des narcotrafiquants !! ……on se regarde avec la crevette, on
pouffe de rire , ce sont les nerfs qui lâchent …..de toute façon on est bloqué
, on peux rien faire….on est bon pour dormir dans le cockpit, à chacun sa
bannette, à chacun son arme, l’un aura le pistolet lance fusée, l’autre le
fusil harpon , bandé , comme il se doit, on ne sait jamais ……oh dieu que cette
journée est longue,longue……..…je vous laisse imaginer ma nuit .